Le mal de ville : quelle influence de l’urbain sur la santé mentale ?

Vivre en ville présente certains avantages pour l’individu : l’accessibilité des services, un réseau de transport dense, des loisirs et activités culturelles à proximité, etc. … Mais malgré ces attraits, la vie urbaine peut se révéler dangereuse pour l’individu : de nombreuses recherches montrent aujourd’hui que la ville est un lieu de recrudescence des pathologies mentales. Des études pionnières menées dès les années 1920 ont en effet mis en évidence que le taux de pathologies mentales était plus élevé dans le centre des villes qu’en périphérie. Plusieurs questions se posent face à cette variation géographique des pathologies mentales : quelle en est l’origine ? existe-t-il aujourd’hui des solutions face à ce problème de santé publique ? Nous vous présentons ici quelques éléments de réponse.

Dans le monde scientifique, un consensus émerge aujourd’hui : l’action face à l’adversité des milieux urbains est urgente. Une littérature scientifique importante révèle en effet les liens entre vie urbaine et pathologie mentale. A Londres par exemple, 1 habitant sur 4 pourrait souffrir d’une pathologie mentale, d’après les chiffres de la mairie londonienne [1]. Auparavant, l’on pensait que la plus grande prévalence de certaines pathologies en ville (comme la schizophrénie) était due au fait que les personnes atteintes convergeaient dans ces lieux de vie, plutôt que de rester en périphérie, ou de migrer vers les milieux ruraux. Dans une célèbre étude parue dans la revue The Lancet en 1992 [2], une équipe suédoise a montré, sur la base d’un large recensement et d’un registre d’accueil psychiatrique, que les individus ayant grandi dans un milieu urbain dense (ville de 50,000 habitants par exemple) étaient plus susceptibles d’être atteints de schizophrénie à l’âge adulte que les individus ayant grandi en milieu urbain moins dense. Avoir grandi en milieu urbain moyennement dense était également associé à une incidence plus grande de troubles schizophréniques à l’âge adulte qu’avoir grandi en milieu rural. Cette association semblait résister à d’autres facteurs qui auraient pu expliquer cette relation, tels que la stabilité du milieu familial, la nervosité ou encore l’usage du cannabis.

Bien que cette corrélation n’implique pas forcément de causalité entre ville et émergence de la schizophrénie, le fait que la densité du milieu urbain était ainsi liée à l’incidence de troubles schizophréniques à l’âge adulte suggère que ce lien est effectif. Cette association entre vie urbaine et trouble mentaux a aussi été proposée dans d’autres études. Ainsi, une analyse menée sur 4.4 millions de personnes a montré que vivre dans une zone fortement urbanisée était liée à une incidence plus forte de pathologies dépressives et de psychoses [3].

Face à ces chiffres, une question demeure quant aux mécanismes par lesquels la ville impacte la santé mentale. La question du diagnostic psychiatrique pouvant être délicate (les critères diagnostiques de certaines pathologiques étant sujets à variations), les recherches se poursuivent et donnent lieu à d’autres investigations portant sur le rôle du milieu urbain sur le développement cérébral. Une forte association a par exemple été suggérée entre l’exposition à la vie urbaine durant les 15 premières années de vie et l’épaisseur du cortex dans différentes régions du cerveau [4].  Au-delà de ces modifications de structure, le fonctionnement de certaines régions du cerveau pourrait également être impacté si l’on a grandi en milieu urbain ou rural [5]. D’autres investigations se concentrent sur la recherche de facteurs liés aux troubles mentaux survenant en milieux urbain denses, qui seraient susceptible de favoriser leur apparition. Ces facteurs pourraient notamment inclure l’isolation sociale, car au-delà du paradoxe apparent entre zone urbaine densément peuplée et isolation sociale, plusieurs études ont montré que la qualité du support social était diminuée en ville. D’autres facteurs ont également été proposés, tels que la pollution sonore ou lumineuse, le caractère stressant de la vie urbaine, ou l’exposition prénatale à certaines toxines [6].

Le complexe résidentiel et culturel du Barbican, à Londres … une cité idéale ?

Le complexe résidentiel et culturel du Barbican, à Londres … une cité idéale ?

Que peut-on faire ? La psychiatre Layla McCay, qui a fondé le think tank « Center of Urban Design and Mental Health », suggère que différentes actions peuvent être menées pour concevoir des espaces urbains qui préservent mieux notre santé mentale. Notamment, la présence d’espaces verts en ville contribuerait grandement au bon fonctionnement de nos ressources cognitives, tout comme la présence d’eau qui favoriserait le bien-être et réduirait les pathologies mentales chroniques (comme évoqué ici ou ). Promouvoir la diminution de la pollution sonore, qui est associée à l’occurrence de pathologies mentales et de déficits cognitifs, permettrait également d’améliorer la qualité de l’environnement urbain (comme évoqué ici). Enfin, des circuits encourageant la marche et l’effort physique, des espaces de rencontre, et des lieux dans lesquels prime un sentiment de sécurité seraient également des paramètres clés à prendre en compte pour concevoir des villes plus adaptées. Selon Layla McCay, le quartier de Barbican à Londres, à l’architecture pourtant ‘brutaliste’, pourrait s’approcher d’une telle cité ‘idéale’, du fait de la présence de verdure, de lacs et de balcons, de la priorité donnée aux piétons, et de l’existence de petites places sur lesquelles les résidents peuvent socialiser, travailler et se détendre.

Enfin, preuve de plus que les sciences cognitives s’emparent de ces problématiques urbaines, ces recommandations ont récemment fait l’objet d’un rapport intitulé « Neuroscience for Cities Playbook ». Produit par « The Centric Lab », un laboratoire qui ambitionne de confronter les connaissances neuroscientifiques aux problèmes urbains ; « Future Cities Catapult », un centre pour l’avancée des villes intelligentes ; et « University College London », une université réputée, ce rapport propose que les neurosciences peuvent fournir des pistes de réflexion et d’action pertinentes pour construire la ville de demain [1]. Chez [S]CITY, nous pensons que ces mêmes exigences devraient devenir une priorité, pour concevoir des villes qui préservent leurs habitants.

Emma & Guillaume

Références  

[1] https://futurecities.catapult.org.uk/project/neuroscience-for-cities-a-playbook/

[2] Lewis, G., David, A., Andréassson, S., & Allebeck, P. (1992). Schizophrenia and city life. The Lancet, 340(8812), 137-140.

[3] Sundquist, K., Frank, G., & Sundquist, J. A. N. (2004). Urbanisation and incidence of psychosis and depression: follow-up study of 4.4 million women and men in Sweden. The British Journal of Psychiatry, 184(4), 293-298.

[4] Besteher, B., Gaser, C., Spalthoff, R., & Nenadić, I. (2017). Associations between urban upbringing and cortical thickness and gyrification. Journal of psychiatric research, 95, 114-120.

[5] Zhang, X., Yan, H., Yu, H., Zhao, X., Shah, S., Dong, Z., ... & Jiang, S. (2018). Structural and functional influences of urban and rural childhoods on the medial prefrontal cortex. bioRxiv, 246876. (notez que ce dernier article ne semble pas encore avoir été évalué par des pairs)

[6] Opler, M. G., Brown, A. S., Graziano, J., Desai, M., Zheng, W., Schaefer, C., ... & Susser, E. S. (2004). Prenatal lead exposure, delta-aminolevulinic acid, and schizophrenia. Environmental health perspectives, 112(5), 548.

[7] https://www.citylab.com/design/2016/12/how-to-support-mental-health-through-urban-planning/510833/