Le rôle précieux de la vie de quartier : un entretien avec Patrick Bernard, fondateur de « La république des Hypervoisins »

 
Patrick et deux Hypervoisines lors de la “Table d’Aude”

Patrick et deux Hypervoisines lors de la “Table d’Aude”

Patrick Bernard est président de l’association « La république des Hypervoisins », qui oeuvre depuis 3 ans à développer la convivialité dans une partie du 14ème arrondissement de Paris. Des apéros hebdomadaires aux repas géants entre voisins, il nous raconte comment l’association permet aux habitants de tisser du lien social et de mieux vivre ensemble. Nous avons choisi de mettre en lumière le travail de l’association qui résonne de façon particulière aujourd’hui, période de distanciation physique où le capital social local reste plus que jamais précieux. 

 

[S]CITY : Quel constat t’a donné l’envie de fonder “La république des Hypervoisins” ?

Patrick Bernard : L’intuition de départ qui nous a motivé à fonder l’association, c’était de dire que la convivialité, c’est quelque chose de puissant, ce n’est pas simplement un bon sentiment. Aujourd’hui, dans les villes denses, tout concourt à rendre cette convivialité difficile à développer. On vit à un rythme effréné et on cherche souvent à créer sa bulle avant tout. Notre idée, c’est de permettre à cette convivialité de naître dans les quartiers, en ne s’en remettant pas seulement aux opportunités ponctuelles telles que les fêtes de voisins annuelles. Selon nous, si l’on fait le choix politique d’investir dans la dynamisation de cette convivialité, il y a une vraie opportunité d’organiser la ville de demain autour de cette richesse en devenir.

 
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[S]CITY : Par quoi s’incarne cette convivialité ?

PB : Quand on se ballade dans certains quartiers, on peut ressentir cette convivialité, elle est palpable sans qu’on sache vraiment pourquoi, ni comment la mesurer. Pour moi, la convivialité passe notamment par le fait de connaître ses voisins, d’avoir une sorte de “carte mentale du voisinage”. Il ne s’agit pas de liens d’amitié mais plutôt de ce qui peut se passer de façon naturelle dans un village, où des liens même subtils se tissent entre les gens à force de se croiser. Notre ambition, c’est de créer les dispositifs pour faire village et que les habitants aient l’opportunité de se rencontrer. 

[S]CITY : Quels sont ces dispositifs ?

PB : Depuis 2017, nous nous sommes investis dans l’événementiel de quartier afin de trouver petit à petit notre place auprès des habitants du 14ème arrondissement de Paris. Nous avons organisé des événements marquants tels que “La table d’Aude” où nous sortons chaque année des tables dans la rue pour organiser un repas géant entre voisins. Nous impliquons également les enfants en cachant des sculptures en plâtre dans les recoins du quartier, qu’ils doivent retrouver et avec lesquelles ils peuvent ensuite dessiner sur les trottoirs. Ces événements, souvent centrés sur des thèmes qui nous sont chers tels que l’implication citoyenne et l’appropriation de l’espace public, rencontrent beaucoup de succès et réunissent jeunes et moins jeunes. 

 
 
Implication des enfants d’écoles du 14ème arrondissement pour décorer les arbres lors des fêtes de fin d’année

Implication des enfants d’écoles du 14ème arrondissement pour décorer les arbres lors des fêtes de fin d’année

 

[S]CITY : Des études montrent que le lien social est un prédicteur fort du bien-être. On imagine des effets positifs de ces dispositifs sur les habitants du quartier...  

PB : Après quelques années, les effets sont en effet là, on a des gens qui construisent un quotidien différent. J’entends souvent dire “qu’est-ce que notre quartier a changé depuis qu’on a lancé les Hypervoisins”. Avant, on se contentait de croiser vaguement les gens, aujourd’hui, on se dit bonjour, on discute. Certains Hypervoisins me disent en rigolant que maintenant, faire les courses, ça prend 3 heures ! On s’est aussi rendu compte que certains habitants, au départ réticents et isolés, se sont depuis liés aux voisins et sont très fiers de dire qu’ils ont trouvé une famille de quartier. Un moment fondateur a été la première table d’Aude, en septembre 2017, où 700 voisins ont partagé un repas sur une table de plus de 200 mètres. Ce référentiel les a soudés, et leur a montré à quel point leur quartier pouvait réussir à se mobiliser. Depuis, on a ajouté une rue supplémentaire, la table fait 400 m de long et plus de 1000 personnes viennent s’y asseoir.

 
 
La “Table d’Aude” où les hypervoisins partagent un repas attablés tous ensemble

La “Table d’Aude” où les hypervoisins partagent un repas attablés tous ensemble

 

[S]CITY : Aujourd’hui, cultiver ce capital social local paraît déterminant pour faire face à la crise du covid-19, et pour développer une forme de résilience. Qu’observes-tu actuellement dans le quartier ?

PB : On se rend compte qu’en reliant les gens, on contribue à construire cette résilience. On a la démonstration que relier les gens, ça produit de l’effet : de façon très naturelle, des tas d’initiatives se mettent en place et un bon nombre d’entre elles n’auraient pas vu le jour sans les Hypervoisins, c’est indéniable. Des voisins interpellent les habitants plus âgés de la rue pour faire leurs courses, se mobilisent pour fabriquer des masques ou des blouses, distribuent des gâteaux faits maison aux personnels soignants. On ressent actuellement l’importance du lien social qui est cultivé depuis des années dans le quartier. Aujourd’hui, nous travaillons à un nouveau dispositif, appelé “l’ami du quartier” qui pourrait se déployer au delà du 14ème. 

[S]CITY : Quel serait le rôle de cet ami du quartier" ?

PB : Dans chaque village, l’ami du quartier serait une sorte “d’architecte social” qui piloterait les dispositifs et rendrait possible les rencontres entre habitants qui ne se croisent pas spontanément. Par exemple, mettre en place un pédibus, où les jeunes retraités aideraient les parents trentenaires à emmener les enfants à l’école à pied, où les plus jeunes pourraient aider les plus âgés en se chargeant de la livraison du dernier kilomètre, etc. Mais pour que ça marche, nous pensons qu’il faudrait un ami du quartier pour un maillage de 5000 personnes maximum dans une ville comme Paris. Bien sûr, il ne s’agit pas de subdiviser tout Paris en villages. Plutôt d’en créer là où c’est nécessaire, et d’adapter les outils aux besoins et particularités de chaque territoire.

 
 
Un musicien de la “Fanfoire”

Un musicien de la “Fanfoire”

 

[S]CITY : Favoriser la construction de ce lien social local est d’autant plus précieux que les chocs vont se multiplier, avec les crises climatiques, sociales, économiques présentes et futures. Selon toi, comment les politiques publiques peuvent-elles se saisir de votre travail ?

PB : Je pense qu’il faut faire de la convivialité un véritable indicateur économique de territoire. On sait aujourd’hui que la vraie richesse, ce qui rend les gens heureux et les maintient en bonne santé, c’est le lien social. On peut faire l’hypothèse que plusieurs objectifs peuvent être atteints en investissant sur la convivialité : les gens s’approprient différemment l’espace public, ils en en prennent davantage soin, ils vivent mieux ensemble. Fabriquer une ville plus animée, plus apaisée, mieux entretenue, plus durable, ça fait directement écho aux missions de service public. Nous réfléchissons à un cadre juridique où la collectivité pourrait déléguer une partie du service public à des acteurs identifiés pour mener à bien ces missions. Cela permettrait de conjuguer la conscience grandissante des collectivités que la ville doit être gérée à une échelle micro-locale à l’émergence des initiatives citoyennes.

[S]CITY : Si on faisait un bilan des 3 années qui viennent de s’écouler, quelle “recette” a contribué à la réussite d’une aventure comme celle des Hypervoisins ?

PB : Je pense qu’une combinaison d’événements de petite et grand échelle est essentiel, mais le secret, c’est la récurrence. Il faut créer des rituels hebdomadaires ou mensuels, des rendez-vous réguliers auxquels chacun peut participer. Chez les Hypervoisins, nous organisons par exemple une réunion tous les samedis matins pour discuter des projets en cours, des apéro-bouffe tous les 2 mois où chacun vient et partage à manger et à boire, etc. Mais il faut aussi des événements de plus grande ampleur, des challenges qui permettent aux gens de s’étonner eux-mêmes, qui relèvent un peu de l’exploit. C’est ce que l’on a réussi à faire avec la table d’Aude par exemple.

 
 
La garden party façon Hypervoisins

La garden party façon Hypervoisins

 

[S]CITY : Enfin, si tu devais partager une grande leçon tirée de cette aventure, ce serait quoi ?

PB : Un des grands enseignements de cette aventure pour moi, c’est qu’il faut dépasser l’idée que la Ville est naturellement mortifère pour la convivialité et que les habitants, centrés sur eux-mêmes, sont définitivement réticents à tisser du lien social. Il faut bousculer les a priori qui font du Parisien, entre autres, un être perdu à jamais pour la vie en société. Quand on prend le temps de questionner au-delà des clichés, on se rend compte que la demande de lien social est extrême et une fois les bons dispositifs trouvés, et les opportunités offertes aux gens de se rencontrer, les barrières tombent. Il faut avoir le sentiment que fabriquer du lien n’est pas si difficile, même dans les grandes villes. Cette conscience est certes une forme de volontarisme. Mais c’est aussi un prérequis.

[S]CITY : Merci beaucoup Patrick !